L’acte de défaut de bien

L’acte de défaut de bien en Suisse

L’acte de défaut de bien constitue un document juridique fondamental dans le système d’exécution forcée suisse. Délivré lorsqu’une procédure de poursuite n’aboutit pas au recouvrement complet de la créance, ce titre atteste officiellement l’insolvabilité momentanée du débiteur. En Suisse, ce document revêt une importance particulière car il confère au créancier certains droits tout en imposant des contraintes significatives. Sa portée juridique s’étend bien au-delà d’une simple reconnaissance de dette impayée, puisqu’il s’inscrit dans un cadre légal précis régi par la Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP). Sa compréhension approfondie s’avère indispensable tant pour les créanciers que pour les débiteurs confrontés aux procédures d’exécution forcée sur le territoire helvétique.

Définition et cadre juridique de l’acte de défaut de biens

L’acte de défaut de biens (ADB) représente un document officiel délivré par l’Office des poursuites attestant qu’une créance n’a pas pu être recouvrée, en totalité ou en partie, à l’issue d’une procédure de poursuite. Ce titre est régi principalement par les articles 149 à 149a de la Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP).

On distingue deux types d’actes de défaut de biens selon la procédure dont ils sont issus :

  • L’acte de défaut de biens après saisie (art. 149 LP) : délivré lorsque la saisie n’a pas permis de désintéresser complètement le créancier
  • L’acte de défaut de biens après faillite (art. 265 LP) : remis aux créanciers restés impayés après la clôture d’une procédure de faillite

Sur le plan juridique, l’ADB constitue à la fois une reconnaissance de dette et un titre de mainlevée définitive. Cela signifie qu’il permet au créancier de requérir directement la continuation de la poursuite sans passer par une procédure judiciaire préalable si le débiteur revient à meilleure fortune.

Le document contient plusieurs informations capitales :

  • L’identité complète du créancier et du débiteur
  • Le montant de la créance impayée
  • La date d’émission
  • Le numéro de référence de la poursuite
  • Le sceau de l’Office des poursuites

L’ADB produit des effets juridiques substantiels. D’une part, il interrompt la prescription de la créance conformément à l’article 137 alinéa 2 du Code des obligations (CO). D’autre part, il fait courir un nouveau délai de prescription de 20 ans selon l’article 149a alinéa 1 LP, ce qui constitue une extension considérable par rapport aux délais habituels de prescription.

Le législateur suisse a ainsi créé un instrument qui maintient les droits du créancier sur une longue période, tout en accordant au débiteur la possibilité de se reconstruire financièrement sans pression immédiate. Cette double dimension reflète l’équilibre que le droit suisse cherche à maintenir entre protection des créanciers et respect de la dignité des débiteurs en difficulté.

Procédure d’obtention d’un acte de défaut de biens

L’obtention d’un acte de défaut de biens intervient au terme d’une procédure de poursuite infructueuse. Cette démarche suit un cheminement précis encadré par la législation suisse.

Dans le cadre d’une saisie

La procédure débute par une réquisition de poursuite déposée par le créancier auprès de l’Office des poursuites compétent. Si le débiteur ne fait pas opposition au commandement de payer ou si cette opposition est levée par décision judiciaire, la poursuite se poursuit par une réquisition de continuer la poursuite.

L’Office des poursuites procède alors à la saisie des biens du débiteur. Après inventaire et évaluation des actifs saisissables, si ces derniers s’avèrent insuffisants pour couvrir l’intégralité de la créance, l’Office établit un procès-verbal de saisie indiquant le montant demeurant impayé.

Une fois la réalisation des biens saisis effectuée (vente aux enchères ou de gré à gré), l’Office des poursuites délivre un acte de défaut de biens pour le solde non recouvré. Ce document est remis au créancier qui doit s’acquitter d’un émolument fixé par le tarif cantonal.

Dans le cadre d’une faillite

Lorsque le débiteur est soumis à une procédure de faillite, les créanciers doivent produire leurs créances dans le délai imparti par la publication officielle. Après vérification et collocation des créances, puis liquidation des actifs du failli, l’administration de la faillite procède à la répartition du produit entre les créanciers selon les rangs de privilège établis par la loi.

Si les actifs ne permettent pas de désintéresser tous les créanciers, ces derniers reçoivent un acte de défaut de biens après faillite pour le montant restant dû, conformément à l’article 265 LP.

Dans les deux cas, l’obtention de l’ADB n’est pas automatique. Le créancier doit expressément le demander à l’Office des poursuites ou à l’administration de la faillite. Cette demande peut être formulée immédiatement après la clôture de la procédure ou ultérieurement, sans limite de temps.

Il convient de noter que l’acte de défaut de biens n’est délivré qu’aux créanciers ayant participé activement à la procédure d’exécution forcée. Un créancier qui n’aurait pas produit sa créance dans une faillite ou qui n’aurait pas requis la continuation de la poursuite ne peut prétendre à l’obtention de ce titre.

Les frais liés à la procédure et à l’établissement de l’ADB sont généralement à la charge du créancier, qui peut toutefois les ajouter au montant de sa créance pour une poursuite ultérieure.

Effets juridiques et délais de prescription

L’acte de défaut de biens produit des conséquences juridiques significatives tant pour le créancier que pour le débiteur, particulièrement en ce qui concerne les délais de prescription et les droits de poursuite.

Sur le plan de la prescription, l’ADB modifie profondément le régime applicable à la créance originale. Conformément à l’article 149a alinéa 1 LP, la créance constatée par un acte de défaut de biens se prescrit par 20 ans à compter de la délivrance du titre. Cette règle s’applique indépendamment de la nature de la créance originale et de son délai de prescription initial, qu’il s’agisse d’une créance commerciale, contractuelle ou délictuelle.

Cette extension considérable du délai de prescription représente un avantage majeur pour le créancier. En effet, sans l’ADB, de nombreuses créances seraient soumises au délai ordinaire de prescription de 10 ans prévu par l’article 127 CO, voire au délai abrégé de 5 ans pour certaines créances périodiques (art. 128 CO).

En matière de poursuite, l’acte de défaut de biens confère au créancier des prérogatives particulières :

  • Il constitue un titre de mainlevée définitive (art. 80 LP), permettant d’écarter une éventuelle opposition du débiteur lors d’une nouvelle poursuite
  • Il autorise le créancier à requérir un séquestre des biens nouvellement découverts du débiteur (art. 271 al. 1 ch. 5 LP)
  • Il permet d’initier une nouvelle poursuite sans notification préalable au débiteur dès que celui-ci revient à meilleure fortune

Pour le débiteur, l’ADB entraîne plusieurs conséquences :

  • Son nom figure au registre des poursuites pendant la durée de validité de l’acte
  • Il peut faire l’objet de nouvelles poursuites sur la base de ce titre pendant 20 ans
  • Il doit informer tout nouveau créancier de l’existence d’actes de défaut de biens à son encontre (devoir de transparence)

Toutefois, la législation suisse prévoit des mécanismes protecteurs pour le débiteur. Ainsi, l’article 149a alinéa 2 LP stipule que le débiteur peut exiger que le créancier lui remette l’acte de défaut de biens s’il paie la moitié du montant dû, à condition que ce paiement représente une part significative de son revenu mensuel. Cette disposition, introduite lors d’une révision de la LP, vise à favoriser le désendettement progressif.

Il est à noter que la prescription de l’ADB peut être interrompue par les mêmes actes que ceux prévus par le Code des obligations pour les créances ordinaires, notamment une reconnaissance de dette, un acte de poursuite ou une action en justice.

Stratégies pour les créanciers détenteurs d’un ADB

Pour les créanciers titulaires d’un acte de défaut de biens, diverses stratégies peuvent être envisagées afin de maximiser les chances de recouvrement de leur créance. Une approche méthodique s’impose dans la gestion de ce type d’actifs.

La surveillance de la situation financière du débiteur constitue une démarche primordiale. Plusieurs techniques peuvent être mises en œuvre :

  • Consultation périodique du registre foncier pour détecter l’acquisition de biens immobiliers
  • Vérification au registre du commerce de la création ou de l’acquisition d’entreprises
  • Recherche d’informations publiques sur la situation professionnelle et patrimoniale du débiteur
  • Dans certains cas, recours à des agences spécialisées dans la recherche de débiteurs et l’analyse de solvabilité

La cession de l’acte de défaut de biens représente une alternative pour le créancier ne souhaitant pas s’engager dans un suivi à long terme. En effet, l’ADB peut être cédé à un tiers selon les règles ordinaires de la cession de créance (art. 164 et suivants CO). Cette cession s’effectue généralement à prix réduit, reflétant l’incertitude liée au recouvrement. Des sociétés spécialisées dans le rachat de créances problématiques proposent ce type de service, permettant au créancier initial de récupérer immédiatement une fraction de sa créance.

L’interruption régulière de la prescription s’avère fondamentale pour préserver la validité de l’ADB. Le créancier peut :

  • Obtenir une reconnaissance écrite de la dette par le débiteur
  • Engager périodiquement des poursuites, même si elles n’aboutissent pas
  • Faire valoir la créance dans une procédure judiciaire

La négociation d’un règlement partiel peut constituer une solution pragmatique. Conformément à l’article 149a alinéa 2 LP, le créancier peut accepter un remboursement partiel contre remise de l’acte de défaut de biens. Bien que la loi prévoie un minimum de 50% du montant dû, rien n’empêche le créancier d’accepter un pourcentage inférieur dans le cadre d’un accord amiable. Cette approche permet souvent un recouvrement partiel immédiat plutôt qu’une attente incertaine.

En cas de retour à meilleure fortune du débiteur, le créancier peut initier une nouvelle poursuite. L’ADB constituant un titre de mainlevée définitive, il permet d’écarter facilement une éventuelle opposition. Dans ce contexte, la stratégie peut inclure :

  • Une demande de séquestre préalable pour sécuriser des actifs nouvellement identifiés
  • Une poursuite ciblant spécifiquement les nouveaux revenus ou biens du débiteur
  • Une démarche rapide dès l’identification d’un changement de situation financière

Ces différentes approches peuvent être combinées et adaptées selon la situation spécifique du créancier et du débiteur. Une analyse coût-bénéfice reste nécessaire pour déterminer l’intensité des efforts de recouvrement à déployer en fonction du montant de la créance et de la probabilité de succès.

Implications pratiques et défis contemporains

Dans le paysage juridique et économique actuel, l’acte de défaut de biens soulève plusieurs questions pratiques et défis tant pour les créanciers que pour les débiteurs. La gestion de ces titres s’inscrit dans un contexte en constante évolution.

La numérisation des registres et des procédures modifie progressivement la gestion des actes de défaut de biens. Plusieurs cantons suisses ont entrepris la digitalisation des offices des poursuites, facilitant ainsi la consultation des informations et le suivi des dossiers. Cette évolution technologique permet :

  • Un accès simplifié à l’historique des poursuites
  • Une meilleure traçabilité des actes de défaut de biens émis
  • Des échanges d’informations plus rapides entre les différents offices cantonaux

La problématique du surendettement des particuliers constitue une préoccupation sociale croissante. Face à l’accumulation d’actes de défaut de biens, certains débiteurs se trouvent dans des situations d’endettement structurel dont ils peinent à sortir. Le délai de prescription de 20 ans contribue parfois à perpétuer ces situations. Dans ce contexte, des initiatives d’assainissement financier se développent, notamment :

  • Des programmes cantonaux de désendettement
  • Des fondations proposant des prêts de consolidation
  • Des services sociaux spécialisés dans l’accompagnement des personnes surendettées

La mobilité accrue des débiteurs, tant au niveau intercantonal qu’international, complique le suivi des actes de défaut de biens. Un débiteur changeant de canton ou quittant la Suisse peut momentanément échapper à la surveillance des créanciers. Cette situation soulève des questions relatives à la coordination entre offices des poursuites et à l’exécution transfrontalière des créances constatées par ADB.

Sur le plan de la protection des données, l’accès aux informations contenues dans les registres des poursuites fait l’objet d’un encadrement de plus en plus strict. Le délicat équilibre entre droit à l’information des créanciers potentiels et protection de la sphère privée des débiteurs constitue un enjeu juridique significatif.

Face à ces défis, l’accompagnement par une étude d’avocats spécialisée s’avère souvent déterminant. Les juristes expérimentés peuvent élaborer des stratégies adaptées, qu’il s’agisse de :

  • Conseiller un créancier sur les meilleures options de recouvrement
  • Assister un débiteur dans une démarche d’assainissement financier
  • Négocier des arrangements transactionnels entre parties
  • Gérer les aspects internationaux d’un recouvrement basé sur un ADB

L’évolution jurisprudentielle concernant l’application de l’article 149a LP mérite une attention particulière. Les tribunaux ont progressivement précisé les conditions dans lesquelles un débiteur peut bénéficier de la remise de l’acte contre paiement partiel, notamment en définissant ce qui constitue une « part significative du revenu mensuel ».

La tension entre efficacité du recouvrement et protection sociale des débiteurs reste au cœur des réflexions sur d’éventuelles réformes du système. Certains milieux préconisent un raccourcissement du délai de prescription des ADB pour favoriser un « droit à l’oubli économique », tandis que d’autres insistent sur la nécessité de préserver les droits des créanciers.

Dans ce contexte complexe, une étude d’avocats maîtrisant les subtilités de la LP et suivant attentivement les évolutions législatives et jurisprudentielles peut apporter une valeur ajoutée considérable dans la gestion des dossiers impliquant des actes de défaut de biens, que ce soit dans une perspective de recouvrement ou de désendettement.

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