Ordre des créanciers

Ordre des créanciers en Suisse

Le système juridique suisse établit un cadre rigoureux concernant l’ordre dans lequel les créanciers sont remboursés lors d’une faillite ou d’une procédure d’exécution forcée. Cette hiérarchisation détermine les droits de chaque créancier et influence directement les chances de récupération des montants dus. La Loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite (LP) fixe précisément ces règles qui s’appliquent tant aux personnes physiques qu’aux personnes morales. Pour les créanciers comme pour les débiteurs, comprendre cette structuration s’avère fondamental pour anticiper les conséquences financières d’une procédure d’insolvabilité et adopter des stratégies juridiques appropriées. Ce système pyramidal reflète les priorités établies par le législateur suisse, qui a souhaité protéger certaines catégories de créanciers tout en maintenant un équilibre économique global.

Les principes fondamentaux de l’ordre des créanciers en droit suisse

L’ordre des créanciers en Suisse repose sur des principes juridiques établis par la LP et le Code civil suisse. Cette hiérarchisation n’est pas arbitraire mais répond à une logique de protection sociale et économique. Le principe cardinal est celui de l’égalité entre créanciers de même rang (par conditio creditorum), qui garantit un traitement équitable au sein d’une même catégorie.

Le système suisse distingue principalement trois grands types de créanciers lors d’une procédure de faillite:

  • Les créanciers garantis par des droits de gage
  • Les créanciers privilégiés répartis en trois classes
  • Les créanciers chirographaires (non privilégiés)

Cette classification détermine non seulement l’ordre de paiement mais influence toute la procédure d’insolvabilité. Le législateur a établi ce système pour assurer une prévisibilité juridique tout en protégeant certaines catégories de créanciers jugées plus vulnérables ou prioritaires.

La LP accorde une attention particulière aux articles 219 et suivants qui détaillent précisément cet ordre. Cette structure n’est pas figée et a connu plusieurs évolutions législatives, notamment pour renforcer la protection des salariés ou adapter le système aux réalités économiques contemporaines.

Un aspect majeur du système suisse réside dans la distinction entre les biens grevés et non grevés du débiteur. Les biens grevés (objets de gages immobiliers ou mobiliers) sont d’abord utilisés pour désintéresser les créanciers gagistes concernés, tandis que les biens non grevés servent à payer les autres créanciers selon leur rang.

Pour les créanciers étrangers, il convient de noter que ce système s’applique de manière identique sans discrimination fondée sur la nationalité, sous réserve des dispositions particulières du droit international privé suisse et des conventions internationales ratifiées par la Confédération.

Les créanciers privilégiés et leur hiérarchisation

Le droit suisse accorde une position privilégiée à certains créanciers, les répartissant en trois classes distinctes selon l’article 219 LP. Cette classification reflète les priorités sociales et économiques établies par le législateur.

Créanciers de première classe

La première classe comprend principalement:

  • Les créances des travailleurs résultant du contrat de travail, survenues pendant les six mois précédant l’ouverture de la faillite, jusqu’à concurrence du montant maximal du gain assuré dans l’assurance-accidents obligatoire
  • Les primes d’assurances sociales obligatoires
  • Les créances alimentaires découlant du droit de la famille
  • Les contributions d’entretien selon le droit de la famille

Cette première classe traduit une volonté claire de protection sociale, notamment envers les salariés et les personnes dépendantes financièrement du débiteur. Le législateur a considéré que ces créanciers méritaient une protection renforcée en raison de leur vulnérabilité économique et de l’impact potentiellement grave qu’un défaut de paiement pourrait avoir sur leur situation personnelle.

Créanciers de deuxième classe

La deuxième classe englobe:

  • Les créances des personnes dont la fortune était placée sous l’administration du débiteur en vertu de l’autorité parentale
  • Les créances des fondations de prévoyance en faveur du personnel
  • Les cotisations d’assurances sociales non comprises dans la première classe
  • Les primes d’assurance-maladie obligatoires

Cette deuxième catégorie protège principalement les créances liées à des relations de confiance ou à des obligations légales spécifiques, comme la prévoyance professionnelle, qui bénéficient d’une protection intermédiaire.

Créanciers de troisième classe

La troisième classe comprend toutes les autres créances privilégiées, notamment certaines créances fiscales. Cette catégorie constitue le dernier échelon des créanciers privilégiés avant les créanciers chirographaires.

Il est à noter que ces privilèges ne s’appliquent que sur les biens non grevés du débiteur. Pour les biens grevés de droits de gage, c’est un autre mécanisme qui s’applique, donnant priorité aux créanciers gagistes sur le produit de réalisation des biens qui leur sont affectés en garantie.

La répartition entre ces trois classes n’est pas proportionnelle. Les créanciers de première classe doivent être intégralement désintéressés avant que les créanciers de deuxième classe ne puissent recevoir un quelconque paiement, et ainsi de suite. Cette règle stricte peut aboutir à des situations où certaines classes ne reçoivent aucun dividende.

Les créanciers garantis par des droits de gage

Les créanciers gagistes occupent une position particulière dans l’ordre des créanciers en Suisse. Contrairement aux autres catégories, ils bénéficient d’un droit préférentiel sur la réalisation d’un bien spécifique du débiteur.

Le droit suisse distingue plusieurs types de gages:

  • Les gages immobiliers (hypothèques, cédules hypothécaires)
  • Les gages mobiliers (nantissement, gage sur créances)
  • Les droits de rétention

Lors d’une procédure de faillite, les biens grevés sont réalisés séparément et leur produit sert d’abord à désintéresser les créanciers gagistes concernés. Cette priorité s’exerce indépendamment du système des trois classes de créanciers privilégiés évoqué précédemment.

Pour les gages immobiliers, l’ordre de priorité est généralement déterminé par la date d’inscription au registre foncier, selon le principe prior tempore, potior jure (premier en date, meilleur en droit). Ainsi, le créancier dont l’hypothèque a été inscrite en premier sera payé avant les créanciers dont l’inscription est ultérieure.

Si le produit de la réalisation du bien grevé ne suffit pas à couvrir intégralement la créance garantie, le créancier gagiste devient créancier chirographaire pour le solde impayé. Cette créance résiduelle sera alors traitée comme une créance de troisième classe.

Inversement, si le produit de la réalisation excède le montant de la créance garantie, le surplus est versé à la masse en faillite pour être distribué aux autres créanciers selon leur rang.

Il est notable que certains privilèges légaux peuvent primer sur les droits des créanciers gagistes, notamment dans le cas des gages immobiliers où des créances privilégiées comme certaines charges de copropriété ou créances fiscales liées à l’immeuble peuvent avoir priorité.

Pour les créanciers, obtenir une garantie réelle constitue donc une protection significative contre le risque d’insolvabilité du débiteur, offrant des perspectives de remboursement nettement supérieures à celles des créanciers chirographaires.

Les créanciers chirographaires et les droits des tiers

Les créanciers chirographaires, parfois appelés créanciers ordinaires, constituent la catégorie la plus nombreuse mais aussi la moins protégée dans l’ordre des créanciers. Ces créanciers ne bénéficient ni de privilèges légaux ni de garanties réelles sur les biens du débiteur.

En cas de faillite, les créanciers chirographaires ne sont désintéressés qu’après le paiement complet:

  • Des frais de procédure
  • Des créanciers gagistes sur le produit des biens grevés
  • Des créanciers privilégiés des trois classes

Dans la pratique, les dividendes versés aux créanciers chirographaires sont souvent très faibles, parfois inférieurs à 5% du montant de leurs créances. Dans de nombreux cas, ils ne reçoivent même aucun paiement, la masse en faillite étant épuisée après désintéressement des créanciers de rang supérieur.

Concernant les droits des tiers, le droit suisse reconnaît plusieurs situations particulières:

La revendication

Les propriétaires de biens qui se trouvent en possession du débiteur failli peuvent les revendiquer. Ces biens n’entrent pas dans la masse en faillite car ils n’appartiennent pas au débiteur. Cette situation concerne notamment:

  • Les biens vendus avec réserve de propriété dûment inscrite au registre
  • Les biens confiés au débiteur (dépôt, prêt à usage, leasing)
  • Les biens acquis par le débiteur avec des fonds appartenant à des tiers (fiducie)

Les droits du conjoint et du partenaire enregistré

Le conjoint ou le partenaire enregistré du débiteur failli bénéficie de règles particulières concernant la liquidation du régime matrimonial. Le droit suisse lui permet de revendiquer ses biens propres et sa part aux biens communs avant que ceux-ci n’entrent dans la masse en faillite.

Pour les créanciers chirographaires, diverses stratégies peuvent être envisagées pour améliorer leur position:

  • La constitution de garanties contractuelles avant l’insolvabilité
  • La surveillance attentive de la situation financière du débiteur
  • L’action révocatoire contre des actes préjudiciables aux créanciers
  • La demande de sûretés en cas de détérioration de la situation financière du débiteur

Bien que leur position soit précaire, les créanciers chirographaires disposent néanmoins de droits procéduraux importants durant la faillite, notamment celui de contester l’état de collocation ou de participer aux assemblées des créanciers.

Implications pratiques et stratégies juridiques dans le contexte actuel

La compréhension approfondie de l’ordre des créanciers en Suisse revêt une importance capitale dans le contexte économique actuel, marqué par des incertitudes et des tensions financières croissantes. Pour les entreprises comme pour les particuliers, cette hiérarchisation influence directement les décisions commerciales et les stratégies juridiques à adopter.

Sur le plan préventif, plusieurs approches s’avèrent pertinentes:

  • L’analyse rigoureuse de la solvabilité des partenaires commerciaux
  • La diversification des créances pour limiter l’exposition au risque
  • La négociation systématique de garanties adaptées
  • La surveillance des signaux d’alerte financiers chez les débiteurs

Optimisation de la position des créanciers

Pour renforcer sa position dans l’ordre des créanciers, plusieurs mécanismes juridiques peuvent être mobilisés:

Les garanties personnelles (cautionnement, garantie à première demande) permettent d’étendre le cercle des débiteurs au-delà de l’entreprise contractante. Cette solution présente l’avantage de multiplier les sources potentielles de remboursement.

Les garanties réelles (hypothèques, nantissements, gages) offrent une protection plus robuste en assurant un droit préférentiel sur certains actifs spécifiques. Leur constitution requiert cependant des formalités précises dont le non-respect peut entraîner leur invalidité.

La réserve de propriété constitue un mécanisme efficace pour les fournisseurs de biens, leur permettant de revendiquer leurs marchandises en cas de faillite de l’acheteur. Son inscription au registre compétent est indispensable pour son opposabilité.

Dans le contexte des restructurations d’entreprises, les créanciers peuvent négocier des accords de subordination avec certains autres créanciers, généralement liés au débiteur, afin d’améliorer leur rang effectif dans la distribution.

Défis contemporains

Le système hiérarchique des créanciers fait face à plusieurs défis dans l’environnement juridique et économique actuel:

La complexification des structures d’entreprises, notamment internationales, rend parfois difficile l’identification précise des actifs disponibles et des garanties effectives.

L’évolution des formes de financement (financement participatif, tokénisation d’actifs) soulève des questions nouvelles quant à la qualification juridique de certaines créances.

La digitalisation des transactions et l’émergence des actifs numériques posent des défis inédits en matière de garanties et de saisie.

Face à ces enjeux, le recours à une étude d’avocats spécialisée en droit des poursuites et faillites s’avère souvent déterminant. Les juristes peuvent non seulement structurer optimalement les transactions pour maximiser la protection des créanciers, mais aussi intervenir efficacement lorsque la procédure d’insolvabilité est déjà engagée.

Une stratégie juridique bien conçue doit intégrer tant les aspects préventifs (rédaction de contrats, constitution de garanties) que les aspects curatifs (production dans la faillite, contestation de l’état de collocation). Cette approche globale permet d’améliorer significativement les chances de recouvrement dans un système où la position hiérarchique détermine largement l’issue financière.

La jurisprudence récente du Tribunal fédéral a par ailleurs précisé plusieurs aspects de l’ordre des créanciers, notamment concernant la qualification de certaines créances salariales ou la validité de certains mécanismes de garantie innovants. Suivre ces évolutions jurisprudentielles constitue un atout majeur pour anticiper les solutions juridiques les plus efficaces dans le contexte économique suisse actuel.

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