La finance décentralisée (DeFi) représente une transformation fondamentale du paysage financier traditionnel, offrant des services financiers sans intermédiaires grâce à la technologie blockchain. En Suisse, ce secteur bénéficie d’un cadre réglementaire progressiste qui s’adapte continuellement aux innovations technologiques. La Confédération helvétique s’est positionnée comme un hub majeur pour les cryptomonnaies et la DeFi, attirant de nombreuses entreprises du secteur grâce à sa stabilité juridique et son approche pragmatique. Notre étude d’avocats accompagne les acteurs de cet écosystème dans la navigation des complexités réglementaires spécifiques à la Suisse, où l’équilibre entre innovation et protection des investisseurs demeure une priorité absolue pour les autorités de surveillance.
Cadre juridique suisse applicable à la DeFi
Le système juridique suisse aborde la DeFi avec une approche fondée sur les principes de neutralité technologique. Contrairement à certaines juridictions qui ont créé des régimes spécifiques aux cryptoactifs, la Suisse applique son cadre légal existant aux activités DeFi, avec des adaptations ciblées lorsque nécessaire. Cette méthode permet une grande flexibilité tout en maintenant un niveau de protection adéquat pour les utilisateurs.
La FINMA (Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers) joue un rôle central dans cette régulation. Elle a établi des lignes directrices claires concernant la qualification juridique des tokens et des activités liées à la DeFi. Selon la FINMA, les tokens sont classifiés en trois catégories principales :
- Les tokens de paiement (assimilables à des moyens de paiement)
- Les tokens d’utilité (donnant accès à un service numérique)
- Les tokens d’investissement (représentant des actifs financiers)
Cette classification détermine les exigences réglementaires applicables. Pour les projets DeFi, la nature des services proposés peut impliquer l’application de plusieurs lois financières suisses, notamment :
- La Loi sur les banques (LB)
- La Loi sur les infrastructures des marchés financiers (LIMF)
- La Loi sur les services financiers (LSFin)
- La Loi sur les établissements financiers (LEFin)
- La Loi sur le blanchiment d’argent (LBA)
Une particularité du cadre suisse réside dans l’existence de la Loi sur la blockchain (entrée en vigueur en 2021), qui a modifié dix lois fédérales pour intégrer les actifs numériques dans l’ordre juridique suisse. Cette loi a notamment introduit le concept de « droits-valeurs inscrits », permettant la représentation numérique d’actifs sur une blockchain avec une reconnaissance juridique explicite.
Pour les protocoles DeFi, la question de la gouvernance décentralisée pose des défis réglementaires spécifiques. La FINMA adopte une approche basée sur la substance plutôt que sur la forme : le degré réel de décentralisation est évalué pour déterminer les obligations réglementaires. Un protocole prétendument décentralisé mais contrôlé par un groupe restreint d’acteurs pourrait être soumis aux mêmes exigences qu’une entité centralisée.
Réglementation des services DeFi spécifiques
Prêts et emprunts décentralisés
Les plateformes de prêt décentralisées permettent aux utilisateurs de prêter ou emprunter des cryptoactifs sans intermédiaire traditionnel. En Suisse, ces activités peuvent être soumises à la Loi sur les banques si elles impliquent l’acceptation de dépôts du public. Toutefois, la FINMA a précisé que les plateformes véritablement décentralisées, où les fonds sont exclusivement gérés par des contrats intelligents sans intervention humaine, peuvent bénéficier d’une approche réglementaire différenciée.
Pour les protocoles de prêt DeFi, les points d’attention réglementaires incluent :
- Le niveau réel de décentralisation dans la gestion des fonds
- La transparence des mécanismes de fixation des taux d’intérêt
- Les mesures de protection contre les risques de liquidité
- La conformité aux règles anti-blanchiment pour les interfaces utilisateur
Échanges décentralisés (DEX)
Les DEX permettent l’échange pair-à-pair de cryptoactifs sans dépositaire central. En droit suisse, ces plateformes peuvent être qualifiées de systèmes de négociation multilatéraux selon la LIMF, nécessitant potentiellement une autorisation de la FINMA. Cependant, les DEX entièrement automatisés via des contrats intelligents bénéficient souvent d’un traitement réglementaire allégé.
La distinction entre les modèles de liquidity pool et d’order book influence également l’approche réglementaire. Les interfaces utilisateur facilitant l’accès aux DEX peuvent être soumises à des obligations d’intermédiaire financier selon la LBA, même si le protocole sous-jacent est décentralisé.
Stablecoins et monnaies synthétiques
Les stablecoins jouent un rôle fondamental dans l’écosystème DeFi. En Suisse, leur traitement réglementaire dépend de leur structure :
- Les stablecoins adossés à des monnaies fiduciaires peuvent être soumis à la réglementation bancaire
- Les stablecoins algorithmiques sont évalués en fonction de leur mécanisme spécifique
- Les stablecoins adossés à d’autres cryptoactifs sont analysés selon leur structure de gouvernance
La FINMA a publié des directives spécifiques concernant les stablecoins, soulignant l’importance des réserves adéquates et de la transparence dans leur gestion.
Fiscalité des activités DeFi en Suisse
Le traitement fiscal des activités DeFi en Suisse présente des spécificités qui méritent une attention particulière. L’Administration fédérale des contributions (AFC) et les autorités fiscales cantonales ont progressivement développé des pratiques concernant les cryptoactifs, bien que certaines zones grises subsistent pour les activités DeFi les plus innovantes.
Imposition des revenus issus du staking et du yield farming
Les revenus générés par le staking (participation à la validation des transactions) et le yield farming (fourniture de liquidité) sont généralement considérés comme des revenus mobiliers imposables pour les personnes physiques. Pour les investisseurs privés, ces revenus sont soumis à l’impôt sur le revenu aux taux ordinaires.
La qualification fiscale précise dépend toutefois de plusieurs facteurs :
- La nature du protocole DeFi utilisé
- La durée de l’engagement des fonds
- Le niveau d’activité de l’investisseur
- Le degré d’automatisation des opérations
Un investisseur très actif dans le yield farming pourrait voir son activité qualifiée d’activité lucrative indépendante, avec des conséquences fiscales différentes, notamment en matière de déductions possibles et de cotisations sociales.
Traitement des gains en capital
En Suisse, les gains en capital réalisés sur des actifs privés sont généralement exonérés d’impôt. Cette règle s’applique aux cryptoactifs détenus à titre d’investissement privé. Cependant, la frontière entre gestion de fortune privée et activité lucrative accessoire est parfois ténue dans le contexte DeFi.
Les autorités fiscales examinent plusieurs critères pour déterminer la nature de l’activité :
- La fréquence des transactions
- La durée de détention des actifs
- L’utilisation de capitaux étrangers (emprunts)
- L’utilisation de produits dérivés ou de techniques sophistiquées
Pour les entreprises engagées dans des activités DeFi, les revenus sont intégrés au bénéfice imposable, avec la possibilité de déduire les charges liées à cette activité.
Déclaration des actifs DeFi
Les positions dans les protocoles DeFi doivent être déclarées dans la fortune imposable des contribuables suisses. L’évaluation se fait généralement à la valeur de marché au 31 décembre. Pour les tokens non cotés ou les positions de liquidité dans des pools, des méthodes d’évaluation spécifiques peuvent être nécessaires.
Notre étude d’avocats accompagne les acteurs DeFi dans l’établissement de méthodes d’évaluation défendables auprès des autorités fiscales et dans la mise en place de stratégies fiscales conformes.
Défis de conformité réglementaire pour les projets DeFi
Les projets DeFi opérant en Suisse ou ciblant des clients suisses font face à plusieurs défis de conformité réglementaire qui nécessitent une approche stratégique.
Identification des parties et lutte contre le blanchiment d’argent
La nature pseudonyme des transactions blockchain pose un défi majeur pour la conformité aux règles anti-blanchiment. Bien que les protocoles DeFi eux-mêmes puissent fonctionner sans identification des utilisateurs, les interfaces et points d’accès à ces protocoles sont souvent soumis aux obligations de la LBA.
Les exigences incluent :
- La vérification de l’identité des clients (KYC)
- L’identification de l’ayant droit économique
- Le monitoring des transactions suspectes
- L’obligation de communiquer en cas de soupçon
La FINMA a précisé que les développeurs de protocoles DeFi qui maintiennent un certain contrôle sur leur fonctionnement peuvent être considérés comme des intermédiaires financiers soumis à la LBA. Cette position crée une tension entre l’idéal de décentralisation et les exigences réglementaires.
Protection des investisseurs
La LSFin impose des obligations en matière de protection des investisseurs, notamment concernant l’information précontractuelle et la classification des clients. Pour les projets DeFi, déterminer comment satisfaire ces exigences dans un environnement décentralisé représente un défi considérable.
Les documents d’information doivent être adaptés au contexte DeFi tout en répondant aux exigences légales. Notre étude d’avocats développe des solutions innovantes pour concilier ces impératifs, comme des interfaces utilisateur intégrant les informations requises ou des documents dynamiques liés aux contrats intelligents.
Gouvernance et responsabilité juridique
La gouvernance décentralisée, souvent mise en œuvre via des tokens de gouvernance, pose des questions juridiques complexes concernant la responsabilité en cas de dysfonctionnement. Dans le système juridique suisse, l’absence d’une entité juridique clairement identifiable ne supprime pas nécessairement toute responsabilité.
Les développeurs, les détenteurs de tokens de gouvernance et les participants actifs à la gouvernance pourraient potentiellement être tenus responsables dans certaines circonstances. Des structures juridiques innovantes, comme les fondations suisses ou les associations, sont parfois utilisées pour encadrer la gouvernance des protocoles DeFi tout en limitant les risques juridiques individuels.
Approche stratégique pour les acteurs DeFi en Suisse
Face à un cadre réglementaire en évolution, les acteurs de la DeFi opérant en Suisse doivent adopter une approche stratégique pour naviguer dans ce paysage complexe tout en bénéficiant des avantages offerts par la juridiction helvétique.
Structuration juridique optimale
Le choix de la structure juridique appropriée constitue une décision fondamentale pour tout projet DeFi. En Suisse, plusieurs options existent, chacune avec ses avantages :
- La société anonyme (SA) offre une flexibilité dans la structure de gouvernance et la levée de capitaux
- La société à responsabilité limitée (Sàrl) convient pour les structures plus petites avec un contrôle plus direct
- La fondation suisse permet une gouvernance neutre et orientée vers un but spécifique
- L’association peut être adaptée pour les projets communautaires
Pour les projets visant une décentralisation progressive, des structures hybrides peuvent être envisagées, où une entité juridique traditionnelle initie le développement avec un plan de transition vers une gouvernance décentralisée.
Relations avec les autorités de régulation
La FINMA encourage le dialogue précoce avec les innovateurs du secteur financier. Pour les projets DeFi, solliciter une prise de position (ruling) de la FINMA avant le lancement peut apporter une sécurité juridique précieuse.
Notre étude d’avocats accompagne régulièrement les porteurs de projets dans ces démarches, en préparant des demandes détaillées qui présentent les aspects techniques et juridiques du projet de manière accessible pour le régulateur.
La participation aux initiatives sectorielles, comme la Swiss Blockchain Federation ou la Crypto Valley Association, permet également de rester informé des évolutions réglementaires et de contribuer au dialogue avec les autorités.
Adaptation aux évolutions réglementaires
Le cadre réglementaire suisse pour la DeFi continue d’évoluer, notamment sous l’influence des développements internationaux comme MiCA (Markets in Crypto-Assets) dans l’Union européenne. Bien que la Suisse ne soit pas membre de l’UE, elle tend à maintenir une compatibilité avec les standards internationaux tout en préservant ses spécificités.
Les projets DeFi doivent intégrer cette dimension évolutive dans leur planification stratégique et juridique. Cela implique de :
- Maintenir une veille réglementaire active
- Concevoir des structures et processus adaptables
- Prévoir des ressources pour la mise en conformité continue
- Participer aux consultations publiques sur les projets réglementaires
Notre étude d’avocats spécialisée dans les technologies financières suit attentivement ces évolutions et conseille ses clients sur les adaptations nécessaires. Notre connaissance approfondie du droit suisse des marchés financiers et notre compréhension des spécificités techniques de la DeFi nous permettent d’offrir un accompagnement sur mesure, alliant rigueur juridique et vision pragmatique.
La Suisse maintient son positionnement comme juridiction favorable à l’innovation dans la finance décentralisée, tout en renforçant progressivement son cadre réglementaire pour assurer la protection des investisseurs et l’intégrité du marché. Les acteurs qui sauront naviguer dans cette complexité réglementaire, avec l’accompagnement de conseillers juridiques spécialisés, pourront pleinement bénéficier des avantages compétitifs qu’offre la Confédération helvétique.