Obligations KYC/AML

Régulation des Cryptomonnaies en Suisse : Obligations KYC/AML

Le paysage réglementaire suisse en matière de cryptomonnaies s’est considérablement développé ces dernières années. La Suisse, reconnue pour son approche équilibrée combinant innovation et protection des investisseurs, a établi un cadre juridique spécifique pour les actifs numériques. Les obligations de connaissance du client (KYC) et de lutte contre le blanchiment d’argent (AML) constituent la pierre angulaire de cette régulation. Ces mesures visent à maintenir l’intégrité du système financier tout en permettant le développement des technologies blockchain. Pour les acteurs du secteur, la conformité à ces exigences représente un défi majeur nécessitant une compréhension approfondie des lois applicables et une adaptation constante aux évolutions réglementaires.

Cadre juridique suisse applicable aux cryptomonnaies

La Suisse a adopté une approche pragmatique face aux cryptomonnaies, cherchant à encadrer cette technologie sans en freiner l’innovation. Le cadre légal repose principalement sur la Loi sur le blanchiment d’argent (LBA) et ses ordonnances d’application, notamment l’Ordonnance de la FINMA sur le blanchiment d’argent (OBA-FINMA).

La FINMA (Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers) joue un rôle central dans la régulation du secteur. Elle a publié en 2018 un guide pratique sur les ICO (Initial Coin Offerings), puis en 2019 des lignes directrices sur le traitement réglementaire des stablecoins. Ces documents clarifient l’application des lois existantes aux nouveaux modèles d’affaires basés sur la blockchain.

En 2021, l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur l’adaptation du droit fédéral aux développements de la technologie des registres électroniques distribués (loi DLT) a marqué une avancée significative. Cette loi a modifié plusieurs textes législatifs pour intégrer les actifs numériques dans le cadre juridique suisse, notamment le Code des obligations, la loi sur l’infrastructure des marchés financiers et la loi sur la faillite.

Classification des tokens par la FINMA

La FINMA distingue trois catégories de tokens, chacune soumise à des exigences réglementaires distinctes :

  • Les tokens de paiement (comme Bitcoin), utilisés comme moyens de paiement
  • Les tokens d’utilité, qui donnent accès à une application ou un service
  • Les tokens d’investissement, qui représentent des actifs tels que des créances ou des participations

Cette classification détermine l’application des diverses lois financières, notamment la LBA, la Loi sur les services financiers (LSFin) et la Loi sur les établissements financiers (LEFin).

La Suisse se distingue par sa volonté de réguler les cryptomonnaies selon le principe de la neutralité technologique, c’est-à-dire en appliquant aux activités similaires les mêmes règles, indépendamment de la technologie utilisée. Cette approche offre une sécurité juridique aux entrepreneurs tout en garantissant la protection des utilisateurs et la stabilité du système financier.

Obligations KYC dans l’écosystème crypto suisse

Les procédures de connaissance du client (Know Your Customer – KYC) constituent une exigence fondamentale pour les prestataires de services financiers opérant dans le domaine des cryptomonnaies en Suisse. Ces obligations visent à établir l’identité des clients et à comprendre la nature de leurs activités.

En vertu de la LBA, les intermédiaires financiers doivent vérifier l’identité de leurs clients lors de l’établissement d’une relation d’affaires. Cette vérification implique la collecte et la validation de documents d’identification officiels tels que passeports, cartes d’identité ou permis de séjour. Pour les personnes morales, des extraits du registre du commerce et des documents statutaires sont nécessaires.

Seuils d’identification et vérification

Les obligations KYC s’appliquent systématiquement lors de l’ouverture d’un compte. Toutefois, pour les transactions occasionnelles, des seuils spécifiques existent :

  • Vérification d’identité obligatoire pour les transactions en cryptomonnaies dépassant 1000 CHF
  • Obligations simplifiées possibles pour certains services à faible risque
  • Diligence accrue requise pour les transactions dépassant 15’000 CHF

La règle dite de la «travel rule» exige que les informations sur le donneur d’ordre et le bénéficiaire accompagnent les transferts de cryptomonnaies. Cette règle s’applique aux transactions entre prestataires de services, imposant la transmission des données d’identification.

Identification de l’ayant droit économique

Au-delà de l’identification du client, les intermédiaires financiers doivent déterminer l’ayant droit économique (ADE) des valeurs patrimoniales. Cette obligation implique d’identifier la personne physique qui contrôle effectivement les fonds, notamment via une déclaration écrite du client.

Pour les structures complexes comme les trusts ou les fondations, l’identification doit remonter jusqu’aux personnes physiques qui exercent un contrôle effectif. Cette exigence vise à prévenir l’utilisation de structures écrans pour dissimuler l’origine ou la destination des fonds.

Les plateformes d’échange de cryptomonnaies doivent mettre en œuvre des solutions techniques permettant de vérifier la possession effective des adresses de cryptomonnaies par leurs clients. Cette vérification peut s’effectuer par la signature d’un message utilisant la clé privée associée à l’adresse concernée.

Mesures anti-blanchiment (AML) applicables au secteur crypto

La lutte contre le blanchiment d’argent constitue un pilier fondamental de la régulation suisse des cryptomonnaies. Les prestataires de services dans ce domaine sont soumis à des obligations strictes visant à prévenir l’utilisation du système financier à des fins illicites.

L’application de la LBA aux activités liées aux cryptomonnaies repose sur la notion d’intermédiation financière. Sont considérés comme intermédiaires financiers les personnes qui, à titre professionnel, acceptent, gardent en dépôt ou aident à placer ou à transférer des valeurs patrimoniales appartenant à des tiers. Cette définition englobe notamment :

  • Les plateformes d’échange de cryptomonnaies
  • Les services de portefeuille (wallet providers) avec garde des clés privées
  • Les émetteurs de moyens de paiement basés sur la blockchain
  • Les plateformes de trading centralisées

Ces entités doivent s’affilier à un organisme d’autorégulation (OAR) reconnu par la FINMA ou obtenir directement une autorisation de la FINMA pour exercer leur activité.

Surveillance continue des relations d’affaires

La conformité AML ne se limite pas à l’identification initiale des clients. Les intermédiaires financiers doivent exercer une surveillance continue des relations d’affaires en fonction d’une approche basée sur les risques. Cette surveillance implique :

  • L’analyse des transactions inhabituelles en termes de montant, de fréquence ou de destination
  • La mise à jour régulière des données clients
  • La vérification de la cohérence entre le profil déclaré et l’activité observée

Les transactions présentant des risques accrus doivent faire l’objet de clarifications complémentaires. Ces risques peuvent découler de la nature des cryptomonnaies utilisées (notamment celles offrant un anonymat renforcé), des juridictions impliquées ou du comportement du client.

Les intermédiaires financiers sont tenus de documenter leurs analyses et de conserver ces documents pendant dix ans. Cette exigence de traçabilité permet de reconstituer le parcours des transactions et de justifier les décisions prises face aux autorités de surveillance.

Obligation de communiquer

Lorsqu’un intermédiaire financier détecte des transactions suspectes ou dispose de soupçons fondés qu’une opération pourrait être liée à une activité criminelle, il doit en informer le Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS). Cette communication est obligatoire et doit être effectuée sans délai.

La technologie blockchain, par sa nature traçable, facilite la détection de transactions suspectes grâce à des outils d’analyse spécialisés. Ces outils permettent notamment d’identifier les fonds provenant d’adresses signalées comme liées à des activités illicites.

Particularités des cryptoactifs anonymes et services de mixage

La régulation suisse accorde une attention particulière aux cryptomonnaies offrant un degré élevé d’anonymat ainsi qu’aux services visant à brouiller la traçabilité des transactions. Ces technologies présentent des défis spécifiques en matière de conformité KYC/AML.

Les privacy coins comme Monero, Zcash ou Dash intègrent des mécanismes cryptographiques avancés rendant difficile ou impossible le traçage des transactions. La FINMA considère que ces cryptoactifs présentent des risques accrus de blanchiment d’argent et exige des mesures de diligence renforcées.

Pour les intermédiaires financiers suisses, l’acceptation de privacy coins implique la mise en œuvre de procédures spécifiques :

  • Documentation approfondie de l’origine des fonds
  • Limitation des montants acceptés
  • Contrôles techniques supplémentaires
  • Formation spécialisée du personnel

Certains établissements choisissent simplement de ne pas accepter ces cryptomonnaies, considérant que les risques réglementaires surpassent les avantages commerciaux.

Encadrement des services de mixage

Les mixers ou tumblers sont des services permettant de mélanger les cryptomonnaies provenant de différentes sources afin d’en obscurcir l’origine. La position des autorités suisses est claire : l’utilisation de ces services est considérée comme un indicateur de risque élevé.

Les intermédiaires financiers doivent mettre en place des systèmes permettant de détecter les transactions provenant de ou destinées à des services de mixage. L’identification de telles transactions déclenche automatiquement des mesures de diligence renforcée.

La jurisprudence suisse récente a confirmé que l’exploitation d’un service de mixage à titre professionnel constitue une activité d’intermédiation financière soumise à la LBA. Les opérateurs de tels services doivent donc respecter l’ensemble des obligations KYC/AML ou s’exposer à des sanctions pénales.

La FINMA a par ailleurs précisé que même les technologies de confidentialité intégrées à des protocoles blockchain (comme les zero-knowledge proofs) peuvent être considérées comme des facteurs de risque nécessitant des mesures de diligence accrues.

Conformité réglementaire et solutions pratiques

La mise en conformité avec les exigences KYC/AML représente un défi technique et organisationnel pour les acteurs du secteur des cryptomonnaies en Suisse. Néanmoins, diverses solutions existent pour répondre efficacement à ces obligations tout en maintenant la viabilité commerciale des services proposés.

Les bonnes pratiques de conformité commencent par l’établissement de procédures internes robustes, documentées dans un manuel LBA. Ce manuel doit détailler les processus d’identification des clients, de surveillance des transactions et de gestion des risques. Il constitue la base sur laquelle s’appuie le système de contrôle interne.

Solutions technologiques et outils d’analyse

Le marché propose aujourd’hui des solutions spécialisées pour faciliter la conformité dans l’écosystème crypto :

  • Les outils d’analyse blockchain permettant de tracer l’origine des fonds et d’identifier les adresses à risque
  • Les plateformes KYC automatisées intégrant la vérification des documents d’identité et la biométrie
  • Les systèmes de surveillance des transactions en temps réel avec alertes automatiques
  • Les solutions de travel rule facilitant l’échange sécurisé d’informations entre prestataires

Ces technologies permettent d’optimiser les processus de conformité tout en réduisant les risques d’erreur humaine. Elles s’avèrent particulièrement précieuses face au volume croissant de transactions à analyser.

Accompagnement juridique spécialisé

La complexité du cadre réglementaire et son évolution constante rendent pertinent le recours à un accompagnement juridique spécialisé. Notre étude d’avocats dispose d’une expertise approfondie dans ce domaine et propose un soutien adapté à chaque étape du développement des projets blockchain :

  • Analyse de la qualification juridique des tokens et des activités
  • Élaboration de procédures KYC/AML conformes
  • Préparation des demandes d’affiliation aux OAR
  • Représentation auprès des autorités réglementaires
  • Formation du personnel aux exigences de conformité

L’expérience montre que l’intégration des considérations réglementaires dès la conception des projets permet d’éviter des restructurations coûteuses ultérieures. Cette approche proactive de la conformité constitue un avantage compétitif dans un marché où la confiance des utilisateurs devient un facteur différenciant.

Face aux évolutions réglementaires, les acteurs du secteur des cryptomonnaies en Suisse doivent adopter une posture d’adaptation continue. La conformité ne représente pas simplement une contrainte réglementaire, mais un élément fondamental de la pérennité des modèles d’affaires dans cet écosystème innovant.

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